Pendant un mois, Anna Erelle s'est fait passer pour une jeune fille désireuse
de partir faire son djihad. Aujourd'hui menacée par l'Etat islamique, la
journaliste a décidé de raconter son enquête dans un livre publié ce jeudi.
Ces derniers mois, ils sont des centaines à avoir rejoint les rangs de l'Etat
islamique (EI) en Irak et en Syrie. Vidéo sur YouTube, photos via Twitter,
discussions sur Facebook, l'organisation terroriste ne lésine pas sur les moyens
de recrutement des jeunes Français. Quels que soient leur âge, leur milieu
social, leur religion, ils ont été confrontés à la redoutable communication de
Daech sur les réseaux sociaux. Pour mieux comprendre tous les ressorts de «ce
djihadisme numérique», Anna Erelle, une pigiste âgée d'une trentaine d'années, a
décidé l'année dernière de se glisser dans la peau d'une djihadiste. Pendant un
mois, derrière l'écran de son ordinateur, la journaliste s'est fait passer pour
Mélanie, une jeune fille de 20 ans, naïve, un peu paumée et désireuse de partir
faire son djihad. Ses recherches l'ont amené à rencontrer un combattant haut
placé dans la hiérarchie de Daech. Elle raconte son histoire dans un livre, Dans
la peau d'une djih@diste (1), qu'elle publie ce jeudi sous pseudonyme, la
journaliste étant actuellement menacée par des membres de l'EI.
Tout commence sur Facebook en avril 2014, sur le canapé de son deux-pièces
parisien. Sous le profil de Mélanie, la journaliste reçoit un message
d'Abou-Bilel, un djihadiste de 38 ans, basé à Raqqa, le fief de l'EI en Syrie.
Dès les premières lignes échangées, il lui demande si elle est musulmane et
l'invite à venir le rejoindre. «On dirait un commercial», écrit la journaliste,
écœurée. «Pour lui, Mélanie ne représente qu'un profil type. (...) Il ne connaît
ni son âge, ni la couleur de ses yeux, ni sa situation familiale» et «ça ne
semble pas le déranger». Il lui raconte l'islam «si pur» qu'il a embrassé et
pourquoi, elle aussi, doit partir. Très vite, la discussion bascule sur Skype
par webcam. Anna Erelle veut faire illusion jusqu'au bout: elle se coiffe d'un
hijab* (2), utilise des expressions arabes et rajeunit sa voix. «J'ai aussi
adopté un langage de djeun's avec un peu d'argot et d'arabe», raconte la pigiste
au Figaro. «Je faisais délibérément des fautes d'orthographe, il ne s'est jamais
douté de rien.»
«Il disait qu'il aimait bien couper des têtes»
photo: Jadorerobe robe de soirée
bustier
Peu à peu, la confiance s'installe entre la jeune fille de 20 ans et le
terroriste. «Ça a mis du temps car je ne pouvais pas lui poser de questions trop
incisives. Autrement, il aurait eu des soupçons.» La journaliste doit rester
prudente. Bilel n'est pas n'importe quel terroriste, il s'agit du bras droit
d'Abou Bakr al-Baghdadi, chef de l'organisation de l'EI. Sur place, «Bilel avait
trois casquettes: il recrutait, récoltait les taxes et gérait des bataillons de
combattants. Mais il lui arrivait aussi de tuer de ses propres mains. Il disait
qu'il aimait bien couper des têtes, torturer des prisonniers de guerre et leur
asséner le coup final», explique la pigiste qui se souvient des photos de têtes
coupées que le terroriste lui avait montrées sur son smartphone.
Au fil des semaines, elle apprend que, dans une autre vie, l'homme originaire
d'Algérie, s'appelait Rachid et vivait à Roubaix dans le nord de la France.
Qu'il a rapidement lâché ses études et commis plusieurs délits. De confession
musulmane, il s'est radicalisé au début des années 2000 et a quitté la France
pour combattre en Irak contre l'invasion américaine en 2003, raconte la
journaliste. Puis, le djihadiste est parti en Afghanistan pour améliorer ses
techniques de guérilla, avant de passer au Pakistan et en Libye, au moment de la
chute de Kadhafi. En 2013, on le retrouve en Turquie.
Djihadiste «métrosexuel»
De l'autre côté de l'écran, l'homme presse la jeune fille de venir au «Sham»
(3) et de servir «la cause de Dieu». Et tous les arguments sont bons pour
convaincre la jeune fille: «Mélanie, (...) je sens que tu as une belle âme, et
si tu restes au milieu de tous ces kouffar, tu brûleras en enfer.» A chaque
appel, le terroriste vante les mérites de l'Etat islamique. «J'avais
l'impression d'avoir le gourou d'une secte en face de moi.» Un jour, il demande
à Mélanie si elle veut l'épouser. Pour continuer à glaner des informations, la
pigiste rentre dans son jeu. L'homme l'inonde de mots d'amour et l'appelle
matin, midi et soir. «Au début, il se foutait de Mélanie, mais il a fini par
avoir des sentiments pour elle», constate Anna Erelle. Le djihadiste amoureux,
la pigiste doit faire bonne figure et continuer à lui faire croire qu'elle va le
rejoindre. «Dans ces moments-là, je vous avoue que je me suis découvert des
talents de comédienne», confie-t-elle en souriant.
Parallèlement, la journaliste en apprend davantage sur l'organisation
terroriste. Comme ce jour où Abou-Bilel lui détaille le «cursus normal» d'une
nouvelle recrue à son arrivée en Syrie. «Cours de langue le matin, cours de tir
l'après-midi», explique le djihadiste. «Au bout de deux semaines, soit tu es
suffisamment fort pour combattre et tu rejoins le front. Soit tu te spécialises,
comme dans le recrutement ou le contre-espionnage.» Il évoque également d'autres
«tâches nobles», comme «la visite des djihadistes blessés dans les hôpitaux, ou
la livraison de médicaments aux nécessiteux». «Cette enquête a été l'une des
plus passionnantes de ma carrière, confie Anna Erelle. C'était fabuleux d'avoir
un contact qui puisse me donner une vue de Raqqa en temps réel.»
Menaces de mort et fatwa
Au bout d'un mois, l'enquête touche à sa fin. La journaliste décide de couper
les ponts avec le terroriste et publie son article début mai. «A partir de là, à
Raqqa, ils ont compris que je n'étais pas Mélanie», résume Anna Erelle. Et les
répercussions sur sa vie personnelle se font vite sentir. «Tous les jours,
j'avais le droit à des menaces de mort et à des coups de fil de numéros
inconnus», explique-t-elle avant de préciser qu'une fatwa (4) a même été lancée
contre elle. Dans une vidéo retrouvée sur le Web, elle découvre son visage
accompagné d'un texte en arabe. Les consignes sont claires: «Mes frères à
travers le monde, (...) si vous la voyez, (...) tuez-la.» Après ça, «j'ai dû me
cacher chez mes parents, puis chez des amis à droite à gauche. J'avais
l'impression de vivre comme une clandestine.»
Neuf mois après son enquête, elle dit ne pas vivre dans la peur mais rester
sur le qui-vive. Pour sa sécurité, ses employeurs lui ont interdit d'écrire sur
le sujet et publie son livre sous pseudonyme. «Le problème, ce ne sont pas les
menaces immédiates, mais les représailles. Il va falloir se méfier tout le temps
et vivre avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête». Et Bilel? «Je pense
qu'il est mort, mais rien n'est moins sûr.»
voir aussi:
Jadorerobe robe de soirée
chic